Qu'est-ce que c'est que ce raffut encore, à une heure si matinale  ?
Dans la clairière, en contrebas, règne une agitation inhabituelle. Juste là où j'avais laissé mon prototype, évidemment !
J'enfile rapidement ma combinaison et sort sur le pas de la porte. Quelques dizaines de mètres plus bas, une troupe d'indigènes s'est rassemblée en lisière du bois, en admiration devant mon travail. Bien sûr j’apprécie que mes talents soient reconnus, mais là j'ai le net sentiment qu'ils ne se contenteront pas d'admirer. Je rentre en coup de vent et file vers la radio : il me faut prévenir très vite la sécurité avant que l'affaire ne dégénère. Il n'est évidemment pas question que les autochtones commencent à s'approprier du matériel de pointe.

Qu'est-ce qui a cloché dans ma stratégie ?
En présentant aux locaux mon prototype comme une relique à vénérer, je m'assurais leur coopération pour la protéger des autres tribus. Il aura évidemment fallu que ces imbéciles aillent se vanter de posséder un artefact magique, pour attirer tous les téméraires de la région.
Rien à faire en attendant les renforts que de suivre l'affaire au plus près et espérer qu'ils arrivent à temps : pas question, pour une teknote de mon acabit, d'aller affronter ces furieux.
Heureusement, les collègues ont l'habitude de ce genre d'intervention en milieu hostile et bientôt la chenille blindée débarque en fanfare au milieu de la clairière pour y mettre bon ordre. En théorie, en tous cas : voilà mes énervés en sandales qui s'en prennent au véhicule avant même que quiconque ait pu en descendre ! Ils commencent à crever les pneus, fracturer les vitrages pourtant renforcés... et finissent même par renverser l'engin.

Dans le même temps, voilà que mes indigènes locaux débarquent à leur tour dans la clairière. Mais au lieu d'intervenir comme ils l'auraient dû pour défendre la relique, ils restent stupéfaits par la scène : comment auraient-ils pu croire qu'il soit possible de venir à bout du monstre de métal ?
Dans un chuintement d'air, les portes finissent par s'ouvrir et mes gaillards en costume blindé s'en extirpent du mieux qu'ils le peuvent, après un tel traitement. C'est le moment que choisit mon chef local attitré pour se ressaisir : le voilà qui se met à gesticuler en invoquant les « enfants nés des dents de l'hydre » ou je ne sais quelle ineptie. Le fait est, pourtant, qu'en voyant la scène, on croirait bel et bien voir mes lascars en uniforme sortir de la gueule de je ne sais quel monstre mortellement blessé. Tout va enfin pouvoir rentrer dans l'ordre, cette fois.

Mais où est passé mon prototype ? La combinaison métallique que j'avais naïvement laissée en évidence au milieu de cette clairière a disparu dans la mêlée. Voilà qui n'est vraiment pas bon pour mon avancement. Laissant les collègues finir de calmer le jeu, je me prépare à faire mon rapport : autant régler l'affaire au plus vite.
La mutation n'est pas loin, je le sens, et la réputation va en prendre un sacré coup, par la même occasion. Comment expliquer en finesse que l'agent Hécate s'est fait subtiliser un prototype de combinaison médicale par des indigènes ? Quelque chose me dit qu'on n'a pas fini d'entendre parler de cette histoire de « toison d'or ».