Adoptez un neurone ..!

«...Et on l'a tous fait bien sûr, moi comme les autres. C'était parti on ne sait plus comment, comme ces traînées de poudre sur le net. Une idée aussi sympa, ça ne pouvait pas se rater : une simple inscription en ligne, et vous voilà officiellement parrain d'un mignon petit neurone artificiel, lové au sein de votre ordi. Aucun entretien, vous ne remarquez même pas sa présence. Sauf à aller jeter un œil sur le programme livré avec. De ce coté, le décorum était assez soigné : un vrai petit Tamagoshi où vous pouviez vous familiariser avec votre nouveau filleul, échanger quelques mots... mignon tout plein, je vous dis ! Où ça a dérapé ?

On n'en sait rien, en fait. Il n'y avait même pas de vrai piège. Je veux dire, l'affaire était certifiée sans virus, sans piratage, tout ce qu'il y a de plus officiel. Estampillé par nos labos de recherches gouvernementaux. C'est là qu'il aurait fallut se méfier ? Allons bon, pas de parano : c'était du tout cuit, je vous dis. C'est bien là qu'est le problème : on réalité, tout c'est très bien passé. Idéalement, merveilleusement bien passé. Nos têtes pensantes avaient tout prévu pour rendre l'affaire on ne peut plus sûre. Mais alors ? C'était peut-être ce qu'on attendait, finalement. Une espèce de maman poule neuromimétique, capable d'anticiper nos moindres désirs. Parce qu'il faut bien que je vous explique : un neurone, en soit, c'est bête comme chou. Si maintenant vous le reliez à quelques millions d'autres à travers le réseau, qu'est-ce que vous obtenez ? Un véritable cerveau artificiel. C'était bien le résultat escompté. A partir de là, vous lui posiez n'importe quelle question et la réponse tombait instantanément, quelque soit le niveau auquel vous situiez le problème. Elle est pas belle, la vie !

Problèmes économiques, sociaux, scientifiques, métaphysiques même, pourquoi pas, le grand cerveau avait réponse à tout. Vous imaginez les avancées, au niveau de la société ? Le grand bond en avant. On avait bien sûr pris soin de lui inculquer les fameuses trois lois d'Asimov (qui n'étaient pas de lui, d'ailleurs mais, bon...), et même la quatrième... Ah ouais, vous avez vu le film aussi ? Bon ben voilà, c'est sûrement de là que ça vient. Cette fameuse quatrième loi, appelée aussi loi zéro. Celle qui vient après la nécessité d'obéir aux hommes, de les protéger, et seulement ensuite de se protéger. Si les trois premières lois s'appliquaient aux individus, la quatrième (oui la loi zéro, vous suivez ?) quant à elle, englobait l'ensemble de l'humanité. La bichonner, accéder à ses moindres désirs, les devancer même... Mais savons-nous nous-mêmes, pauvres bipèdes pensants, ce qui est bon pour nous ? Elle, oui ! Vous suivez le raisonnement ?

Rien que du beau, du bon pour nous, mais suivant quels critères ? Ceux, bien sûr, qu'on a pris la peine de lui inculquer au départ : tout pour notre confort. Moindre fatigue, moindre réflexion... moindre évolution. On s'est endormi, pour de bon, pendant que maman Cephalo (c'est le nom qu'on lui avait donné) s'occupait de tout. Quelques uns ont bien fini par réagir, mais contre quoi ? Le bien du plus grand nombre ? Maman Cephalo, pas bête, avait même compris que ce nombre jouerait pour elle. Alors on est entré en résistance. Contre elle, contre nous-même. Je veux dire contre cette immense majorité qui avait trouvé son bonheur dans les bras de Cephalo. Aujourd'hui, moi, j'en suis. De la résistance, pas de la majorité endormie. Aux yeux de tous, ou presque, nous sommes devenus des terroristes. Opérations commando contre les « équipements du bonheur en boîte », tentatives désespérées pour ouvrir les yeux de nos concitoyens, mais quoi ? On ne peut pas rester les mains dans les poches quand on a cette conviction que l'humanité entière a abdiqué son libre arbitre au profit de la machine.»

X.A